mercredi 23 avril 2014

Clos de la Coulée de Serrant 2009, Nicolas Joly, Savennières, Loire

Trois jours sur le Chenin du paradis...

Au fil de cet article, je vais tenter de vous faire participer à ce pèlerinage vers la perfection auquel j'ai pris part en dégustant cette bouteille tout simplement inoubliable. J'éprouve un brin de nostalgie rien que d'en parler parce que je sais que je n'en reboirai pas de si tôt, c'est le genre de grand vin que je ne peut pas m'offrir au quotidien, et même si je pouvais je ne le ferais pas, ce qui de toute façon permet de conserver d'autant mieux les instants magiques qu'il m'a procuré. J'éprouve également de la gratitude envers ma compagne qui m'a permis d'y goûter, de la gratitude envers le terroir et la conviction dans le travail effectué par le digne représentant de la biodynamie qu'est Nicolas Joly, et de la gratitude envers le vin en général, parce que cette passion qui me tient tant à cœur diffuse tant d'émotions lorsqu'on se retrouve en communion avec une telle qualité. J'éprouve enfin, je dois l'avouer, une certaine fierté, parce que je pense avoir été à la hauteur de comprendre ce vin et de l'apprécier pleinement. En effet, c'est plus compliqué qu'il n'y parait, même si j'avais été averti. Ce vin a besoin de temps pour s'exprimer totalement, et vous devrez attendre deux à trois jours après l'ouverture de la bouteille pour en profiter.

Une brève mise en situation, avant d'entrer dans le vif du sujet. La Coulée de Serrant, c'est une AOC à elle toute seule, un monopole même. 7 hectares de chenin blanc appartenant à la famille Joly sur des pentes assez abruptes donnant sur la Loire dans la zone de Savennières. L'élevage est réalisé en barriques durant quelques mois, mais quasi sans apport de bois nouveau pour accompagner sans altérer le produit.



Dès l'ouverture, j'ai droit à un premier nez sur la pomme, l'alcool de prune, genre slivovitch. En bouche, je constate un perlant assez marqué. Aussi bien au nez qu'en bouche je suis assez surpris par une telle concentration d'alcool. J'apprendrai plus tard que ce blanc en contient 15,5%! Sans être désagréable, il y a très peu de plaisir à en tirer en l'état, la finale se recroqueville sur elle-même et est assez courte. Deux bonnes heures plus tard dans le fond de mon verre, je découvre des arômes d'abricot, j'ai l'impression de sentir davantage des cailloux gorgés de soleil. Un murmure, une promesse. En bouche, une acidité tranchante et plaisante, une impression de puissance. Le vin vit, travaille, se met en place comme une troupe répétant sa mise en scène avant le grand show.

J'ai conservé la bouteille debout et rebouchée à une température ambiante. Je l'ai également consommé à température ambiante. Ce n'est pas le genre de blanc qu'on place au frigo pour l'apéro. ;-)

Le deuxième jour, le nez a peu bougé. Par contre en bouche, c'est une autre histoire. Le frisant s'est dissipé. Ça s'harmonise, ça s'équilibre, ce qui pourrait se traduire par une impression plus gourmande, plus confiturée, l'impression d'un liquoreux mais sans sucre parce qu'une légère astringence titille les bajoues. On voyage entre le vin blanc et le vin rouge avec un soupçon de cerise qui complète le tableau aromatique. On gagne nettement en longueur, et j'ai maintenant vraiment envie d'en boire. Résistons cependant... y aura-t-il encore d'autres surprises? Parce que je suis encore sceptique quant au prix de ce flacon en l'état.



Bien sûr, il y en a eu. C'est finalement presque 72 heures après le premier débouchage que le vin fut prêt. Au nez, une gamme aromatique très vaste rassemblant les arômes évoqués précédemment dans un bouquet harmonieux, la prune bien mûre mène la danse mais une kyrielle de fruits l'entourent, ainsi que des notes minérales et pâtissières complètent le tableau. On hume beaucoup moins l'alcool, et aucune trace d'oxydation. En bouche, c'est le bonheur à l'état pur. Gourmand, vif, profond, maturité parfaite du fruit, chaque élément collabore pour sublimer l'ensemble. La finale est douce et onctueuse, très longue. Je plane haut, je ressens une émotion que je ne peux pas décrire en mots, je pense à pleins de belles choses et je ne peux rien faire d'autre que de déguster lentement, gorgée après gorgée, encore et encore. Je suis sur un nuage qui ne me libérera qu'une fois la bouteille achevée. Un rêve éveillé et ce qui se passe à l'extérieur ne compte pas. Vous avez dit vin de méditation?

J'ai lu beaucoup de choses concernant la Coulée de Serrant. Davantage d'avis négatifs et de déceptions que d'avis enthousiastes, bien que ceux ayant apprécié ne l'avaient pas fait à moitié. Bon nombre de bouteilles semblent défectueuses d'après les commentaires glanés ça et là sur les forums de passionnés. Ai-je eu de la chance? Je ne le crois pas. C'est un vin assez fragile, comme tout travail d'une grande précision. Il faut être très patient pour que tout se mette en place, il faut observer et le manipuler avec douceur, l'entreposer dans une cave appropriée si on tient à l'attendre. Il faut acheter ce genre de bouteille chez un caviste fiable et de confiance, si ce n'est à la propriété elle-même. On peut en dégoter moins cher sur le net, mais à ce moment-là les risques de déception grimpent dangereusement, ce qui donnera d'autant plus de convictions quant à critiquer la Coulée étant donné son prix effrayant, au-delà de 50 euros. Un vin peut-il valoir plus de 50 euros si on met de côté le paramètre "rareté"? De manière pragmatique, je pense que la réponse est non. Le plaisir ne se quantifie pas et la marge bénéficiaire est déjà plus que confortable pour le producteur alors pourquoi en rajouter? Mais dans les faits, la réponse est malheureusement oui, parce que nous n'avons pas le choix. Certains vont jusqu'à mettre une centaine d'euros sur un Bordeaux ou un Bourgogne Premier cru sans sourciller, pourquoi ne pourrait-on pas le faire sur un Savennières? J'ai dégusté récemment un Clos Vougeot lors d'un salon, certes un vin dix fois trop jeune et dans des conditions compliquées, vendu 64,50 EUR. Je n'ai quasi rien ressenti et j'ai acheté le Passe-Tout-Grains du même domaine à 7,50 EUR parce que lui au moins avait une bonne petite blague à raconter.
Ce qui compte, c'est que bien d'autres vins sont susceptibles de donner des émotions aussi fortes à des tarifs bien plus accessibles. Elles peuvent être aussi fortes, mais elles seront toujours différentes, chaque vin est unique. Nos sensibilités le sont également. Et un vrai passionné dégustera de toute façon l'une ou l'autre bouteille hors de prix au cours de sa vie. Ma dernière contribution concernant le débat sur l'intérêt ou non de la Coulée de Serrant: je pense qu'il est totalement indéniable, et que tant qu'il y aura des personnes pour la délaisser ou la trouver surfaite, il en restera pour les amateurs dont je suis heureux de faire partie!

Si le pèlerinage vous tente, je vous recommande une visite au magasin BioBelVin à Spa. Hormis la Coulée de Serrant, vous y découvrirez le second vin du domaine de Nicolas Joly "un peu" moins cher, mais aussi pleins d'autres pépites bio ou biodynamique à découvrir, essentiellement françaises, les propriétaires bienveillants et expérimentés se feront un plaisir de vous guider.

Et enfin, un petit reportage sur le vignoble aux temps des vendanges histoire de faire connaissance avec ce sacré Nicolas Joly.

Ma note globale: 99/100

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