lundi 23 mars 2015

Chateau Canon 1994, rouge, 1er GCC Saint-Émilion, Bordeaux

Alors que la grande comédie des primeurs 2014 à Bordeaux vient de débuter, je vous propose un petit saut dans le temps avec ce Château Canon 1994, l'un des derniers millésimes produit sous l'aire de la famille Fournier avant la reprise de ce domaine par la maison Chanel.
Un peu d'argile, de terre mouillée. Un peu de poivron. Des bouts de mine de
crayon. Une botte de percil? Beaucoup de tabac. Une impression fruitée
(fraise). Des effluves boisés par intermitence. C'est une belle palette parfumée qui se présente aussi bien au
nez qu'en rétro-olfaction. Ni timide ni exubérante, elle se livre sans
détours et à volume idéal. En bouche, c'est assez impressionant. L'attaque
est vive, trame acide et énergique que des tanins nombreux mais très fins
viennent soutenir. L'alcool est bien présent en sachant qu'il réchauffe la
gorge au finish, mais cela ne perturbe en rien l'équilibre de ce vin, au
contraire. C'est évolué, mais puissant. Finale très longue au creu d'une
boîte à cigares. Les gorgées s'enchainent irrésistiblement. Un régal. Je
perçois une grande concentration encore aujourd'hui, je me demande bien
comment ça ressortait dans les premières années. Etait-ce une bombe
fruitée? Ou était-ce too much et boisé? Je ne peux que me concentrer sur le
présent, et c'est déjà merveilleux d'avoir cette chance!

Il est temps, sinon urgent de le boire, me semble-t-il. Le seul verre que je me suis gardé pour le lendemain était moins enchanteur.

Ma note globale: 89/100

mardi 17 mars 2015

Kayra Öküzgözü 2012, rouge, Daniel O'Donnell, Turquie

La Turquie, encore et toujours. Après m'être vautré avec volupté dans le Narince, je vous invite à plonger au coeur de quelques vins rouges à base de cépages "maison". Retournons d'abord dans les chais de Kayra, pour comparer deux vins à base d'Öküzgözü. Si le premier est le résultat d'un assemblage de diverses parcelles, le second provient d'un seul vignoble, le prix allant du simple au double. C'est parti, débouchons le Kayra Öküzgözü 2012!

Au top départ, le vin se révèle assez timoré. Au nez, vanille et caramel se présentent, signe d'un élevage un poil trop appuyé mais pas dans des fûts neufs, à mon avis, et peut-être pas français, non plus (la fiche technique sur le site du domaine n'est pas claire à ce sujet: 10% de fûts neufs, pendant 10 mois, oui mais le reste?). Donc ça donne une aromatique de faible intensité dans laquelle je cherche un peu en vain l'apport de la matière et du cépage. En bouche, c'est plus réjouissant, un peu de fruit rouge daigne se pointer en rétro-olfaction, on a une belle acidité, un alcool faible (13% très bien gérés) et des tanins plutôt bien fondus, ce qui donne un ensemble léger et gouleyant. La finale est d'une assez bonne longueur, toujours sur le duo caramel/vanille. Si la gamme d'arômes se livre davantage après quelques heures de repos, on aura un joli vin. Sinon... bref, y'a plus qu'à patienter!

Pas d'améliorations significatives à mes narines après 6 heures, quelques ajustements tout au plus. La vanille s'efface un peu au profit d'une ou deux petites cerises. La bouche, par contre, a encore gagné en volume et en profondeur et offre un touché enthousiasmant. La trame acide porte agréablement le vin qui révèle bien plus de caractère qu'au départ. Puisque je manque de repère avec ce cépage, j'aurais tendance à comparer cette structure tonique à un Chianti Classico bien né. En rétro, je perçois des épices et une sorte de côté floral du style violette, mais ce n'est pas exactement ça, je n'ai pas d'autre terme qui me vient à l'esprit. Et à part cette pointe de cerise, pas d'autres fruits à signaler non plus. Si la structure m'oriente vers la Toscane, l'aromatique épicée fait plutôt référence à des crus Languedociens tels Saint-Chinian. En l'état, ça reste très agréable à boire, c'est salivant, sapide devrais-je dire, la vivacité de ce vin devrait faire écho sur une belle viande un peu persillée. Pour la complexité des parfums, gageons que l'Öküzgözü suivant répondra à l'appel, la démarche étant un peu plus poussée. Satisfaisant pour un vin avoisinant les 12 euros!

Ma note globale: 85/100

vendredi 13 mars 2015

Le Feu 2012, Gringet, blanc, domaine Belluard, Savoie

Partons ensemble à la chasse aux trésors cachés, dans une région de France trop souvent oubliée lorsque nous évoquons nos coups de coeurs bachiques, j'ai nommé la Haute-Savoie! On y trouve toute une panoplie de cépages, dont certaines dénominations géographiques s'en font une spécialité. Or la bouteille du jour vient d'Ayse, et c'est 100% Gringet. D'après les informations recueillies sur le site du domaine Belluard très fourni dont je vous recommande la visite, il n'y aurait que 22 hectares de cette variété en production aujourd'hui, la maison en possède 10. On y suit la philosophie de la biodynamie, et l'élevage de cette cuvée parcellaire "Le Feu" s'effectue dans des oeufs en béton.

Le nez est très changeant dans les premières minutes, signe d'une complexité indéniable et probablement d'un beau potentiel d'évolution. Si ma première impression est florale et originale (dans le sens unique à ce vin blanc), je parviens à définir peu à peu un registre d'agrumes (citron vert, cédrat), pin, verveine, c'est très frais et captivant. La Corse me vient en tête, allez savoir pourquoi. La bouche propose une attaque acidulée bien nette, mais on bascule vers un gras assez intense également, il est rare de trouver une telle dualité dans la structure, à part dans les très grands blancs élevés en barriques mais tout ça sans aucune sucrosité ou suavité. Les arômes se substituent également au cours de l'agitation et au fur et à mesure de la gorgée, la pomme et la pèche prennent le pas sur les agrumes, et la finale est longue sur des notes de noisettes voire d'amandes, mais aussi sur du très beau raisin blanc. Un nectar qui offre beaucoup de caractère, un vrai goût de "revenez-y". Un vin impressionnant pris tel quel et qui doit marquer les esprits lors d'une dégustation à l'aveugle, en tout cas je vais exécuter ce test prochainement sur le millésime 2013, mais il me semble indispensable de connaître sa genèse (Savoie, cépage ultra-rare, élevage moderne...) pour en saisir pleinement l'essence, ça donne d'autant plus de prestance et de noblesse au jus.

Entre 25 et 30 euros la quille, ce n'est pas cadeau, mais vous risquez fortement d'aimer! J'ai bien envie de déguster le mousseux produit aussi au domaine Belluard avec le Gringet.

Tentez le coup chez le sympathique et multilingue Mark Longin de Proef de Passie, ils en sont à ce jour au 2013.

Ma note globale: 94/100

Ode au Narince (3/3): Vinkara Narince 2013, blanc, Turquie

Le tournant est majestueusement négocié, les amis. Voici assurément le plus "Narince" des trois vins dégustés, et cela ne me surprend pas outre mesure tant ce domaine me semble à surveiller de près. Le projet est assez récent mais vaste, fondé en 2003, première mise en bouteille en 2009. Ils se sont établi dans la région de Kalecik, au nord-est d'Ankara. . Ils ont d'ailleurs eu l'audace de produire une bulle très convenable à partir d'un cépage rouge local, le Kalecik Karası, bouteille ouverte pour la Saint-Valentin, je vous en toucherai un mot plus tard. Concentrons-nous plutôt pour l'heure sur cette bouteille, au nez qui ne ressemble pour une fois pas à grand chose d'autre. C'est très floral, l'impression de pousser la porte de votre fleuriste favori(te), ou de plongez le nez dans un feuillage dense, avec des notes de buis, un petit côté épicé (original sur du blanc), et une dimension minérale (asphalte, pierre chauffée au soleil). Le fruit se manifeste essentiellement en bouche lors de la rétro-olfaction, sous la forme d'une pêche mûre à souhait. Le bouquet olfactif n'est pas aussi aguicheur que les deux Narince pré-cités, mais il est bien plus unique. La bouche propose un équilibre très réussi, avec des constantes très élevées. Le gras, l'onctuosité domine, ce qui donne un vin assez velouté en bouche, soutenu par une acidité moyenne à forte qui donne de la profondeur à l'ensemble sans être forcément perçue directement, mais la salinité éprouvée en milieu et fin de bouche ne trompe pas. Les 14% d'alcool sont, avec surprise, parfaitement inclus dans le tableau, la finale est de fort belle tenue sur la palette d'arômes évoquée précédemment. C'est donc un blanc puissant, complexe, gastronomique à souhait. Il n'est pas courant de trouver des vins aussi riche et structuré avec une personnalité si affirmée sous la barre des 10 euros.

Gros coup de coeur, ce sera le Narince de Vinkara qui remportera ce match à trois, victoire d'autant plus méritante que les adversaires étaient de taille, comme vous avez pu le constater. C'est donc, au risque de me répéter, un cépage qui mérite une vraie reconnaissance sur le plan international. Mais pour vous faire votre propre opinion, rien de tel que de les goûter à votre tour, je vous promet beaucoup de satisfaction!

Ce lien vous conduira vers le site officiel de Vinkara.

Ma note globale: 93/100

vendredi 6 mars 2015

Mencia 2012, rouge, Joaquin Rebolledo, Valdeorras, Espagne

Après la Galine, la Galice! La Bodegas Joaquín Rebolledo se situe dans la province d'Ourense, au nord-ouest de l'Espagne. L'appellation Valdeorras a vu le jour en 1945, le cépage star en blanc étant le godello, et en rouge le Mencia (dont je vous ai déjà vanté les mérites). Le climat est continental, et les vignes sont plantées entre 240 et 320 mètres. Ce rouge n'a connu que les cuves.

C'est une bouteille que j'ai ouverte en parallèle du Minervois la Livinière, pour accompagner un succulent filet de pintade aux cerises et à la Kasteel rouge (purée de pommes de terres, pommes et poires airelles pour les curieux), et tout comme la Galine, c'est un vin qui s'est bonifié en prenant son temps après la libération du bouchon. Bien que plus causant que son vis-à-vis dans l'instant le soir-même, il a atteint sa plénitude le lendemain. En cause, une très légère réduction qui bridait le nez de ce vin, la bouche quant à elle était déjà pas mal en place. En terme d'arômes, on a un mix curieux quoique intéressant entre grains de café grillés (ou une impression de fumé, c'est selon), des petits fruits rouges et un côté floral qui sera mieux perçu en rétro-olfaction sous la forme de violette très marquée. On sent le raisin aussi, c'est à signaler. Pour tout dire, l'impression générale de ce vin m'a fait penser autant à un cru du Beaujolais type morgon, qu'à un "petit" Côtes-du-Rhône de copains. Je hume une certaine fraicheur, mais la bouche va un peu me contredire. Je déplore un léger manque d'acidité, mais l'ensemble est très souple. C'est peu tannique, pas alcooleux si ce n'est qu'on est plus proche du Rhône que du Beaujolais en ce domaine.

La finale a plus d'un tour dans son sac. Alors que je m'attend à quelque chose d'assez court, la violette persiste, accompagnée par des accents levurés et épicés. Un vin assez atypique, inclassable, qui mérite une attention soutenue du genre "ne te fie pas à mon apparence, j'ai l'air d'un petit vin facile mais j'en ai beaucoup sous le pied...

J'ai préféré la maîtrise et l'équilibre de la Galine, sur ce coup-là. En terme d'accord, sa structure répondait mieux à la volaille, alors que notre vin espagnol s'effaçait un peu devant le plat tout en faisant ressortir la dimension fruitée de celui-ci. Deux types d'approches, donc, et les deux se dégustent bien sans nourriture. Pour ma compagne, c'est plutôt le galicien qui a recueilli ses faveurs, y'a pas photo vu qu'elle m'a demandé un second service. Mais ce Mencia m'a fait réfléchir et m'interroger davantage, et c'est lui qui m'a donné l'impulsion pour ces deux articles.

On peut le trouver chez Wijnenwereld, pour 11,30 EUR l'unité, prix dégressif.
Plus près de chez nous, le bien nommé Leuvin à Louvain, le propose à 8,95 EUR, 5+1 gratis au moment d'écrire ces lignes. Boutique non-testée mais qui semble très sérieuse, les frais de ports s'élèvent toutefois à 15 EUR pour 12 bouteilles.

Pour terminer, voici le lien vers le site officiel de la bodega Rebolledo.

Ma note globale: 83/100